Amani Itakuya #7: Bembe – Banyamulenge à Fizi: à quand la paix ?

Bembe – Banyamulenge à Fizi: à quand la paix ?
Godefroid Muzalia
Ce questionnement me taraude l’esprit dès le premier jour de mes recherches sur l’insécurité persistante à Fizi. Depuis, j’ai eu plusieurs échanges avec certains Banyamulenge et Babembe. Pour les premiers, rien à faire, les seconds sont hautement xénophobes et potentiellement génocidaires. Pour les seconds les premiers sont des étrangers hautins, sans vergogne et jusqu’auboutistes, déterminés à spolier nos terres. Puis, une évidence m’a rendu perplexe ! Les Babembe entretiendraient de « bonnes relations » avec les miliciens Hutu rwandais et burundais actifs à Fizi, tandis que les Banyamulenge, tout en clamant leur congolité, n’arrivent pas à cacher leurs accointances avec le Rwanda. J’étais devant un système de conflits difficile à qualifier ! Ces conflits, au départ fonciers, m’ont semblé aussitôt beaucoup plus complexes avec des dimensions « psychologiques » évidentes.
Loin de moi l’intention de minimiser les dimensions foncières de la conflictualité séculaire qui sévit la région. Aussi, je ne pense pas qu’il faille attribuer aux seules pressions régionales, notamment rwandaises, la consolidation des identités meurtrières au sens d’Amin Maalouf (Lire Maalouf, A., Les identités meurtrières, Paris, Ed. Grasset et Fasquelle, 1998, p. 12-14). On sait, en effet, bien avant les interventions du Rwanda dans la région (1996), les gens à « nationalité douteuse » avaient du mal à s’intégrer. Ces questions ont fait l’objet d’une littérature abondante. Je ne voudrais pas y revenir. Les préjugés, les rumeurs de « complot de l’empire Hima Tutsi » et le temps ont favorisé l’émergence d’une méfiance entre les Banyamulenge et les Babembe. La méfiance a, à son tour, érigé des barrières à la fois sociales et psychologiques entre ces deux communautés. C’est, probablement, sur ce terrain que doivent être menées les actions dans une perspective d’une paix à venir. Labda amani itakuya.
L’obstacle majeur : un complexe belligène bien structurée !
L’expression complexe belligène est de Gaston Bouthoul, fondateur de l’Institut Français de polémologie. Elle a été mise en exergue par des chercheurs en polémologie dans leur démarche consistant à cerner les dimensions des violences collectives. Notamment la façon dont l’agressivité collective s’accroît et s’investit sur un ennemi précis, devenant ainsi animosité et appelant le passage à la guerre ouverte. (Voir Bouthoul, G., Traité de polémologie, Payot, 1972). Les relations entre les Babembe et les Banyamulenge semblent s’inscrire actuellement sur ce registre là.
En effet, on pourrait faire un effort pour gérer les conflits fonciers, mais l’animosité est solidement encrée. Elle a atteint des proportions telles qu’elle se transmet de bouche à oreilles, et de génération en génération. Elle a atteint le terrain où l’homme est même partout sur la terre; le terrain des relations amoureuses et matrimoniales. Ni les Banyamulenge, ni les Babembe ne permettent leurs enfants de se marier les uns aux autres. On dirait deux espèces humaines différentes évoluant par accident sur la planète Fizi. A ce niveau, le problème n’est pas foncier, il n’a pas non plus trait à une question d’immigrés ou de nationalité. Partout au monde, les gens venants des horizons très diversifiés ont appris à se côtoyer et à vivre ensemble.
Ce complexe belligène a fini par activer les reflexes d’autodéfense départ et d’autres. Celles-ci ont, à leur tour, favorisé la mise en place d’une sorte de paix armée où chaque communauté s’organise pour parer à toute éventualité. En plus, des milices ethniques bien identifiées qui foisonnent dans la région (les Maï-Maï Yakutumba et alliés et le reste des Forces Républicaines Fédéralistes), plusieurs civiles disposent d’armes de guerre dans leurs maisons. Les opérations armes contre vélos menées par la PAREC de Ngoy Mulunda n’ont pas arraché les armes aux civiles. Ce qui fait qu’un incident mineur (ravage d’un champ par le bétail) peut très dangereusement dégénérer en conflit communautaire. C’est aussi sous ce complexe belligène développé localement que se greffent plusieurs pressions extérieures. Les plus importantes procèdent par la transposition des conflits rwandais et burundais dans l’Est de la RDC, en général, et à Fizi en particulier.
La paix est-elle possible ?
Tout n’est irrémédiablement perdu. Il y a lieu s’espérer à une note d’espoir que j’ai retenue des échanges avec le député d’Uvira, Bulangalire Majagira Espoir : La restauration de la vérité est le point de départ de toute réconciliation, les Banyamulenge c’est nous, pas eux. Pour ce député, les amis s’obstinent à demeurer dans la tricherie. Tout le problème est là.
On sait, en effet, qu’il n’a jamais existé une ethnie dénommé Banyamulenge à Fizi. L’histoire témoigne, en revanche, de l’existence des Tutsi dans la plaine de la Ruzizi bien avant les tracés des frontières coloniales (Willame, J.C., Banyarwanda et Banyamulenge, violences ethniques et gestion de l’identité au Kivu, Paris, l’Harmattan, vol 6, Zaire, n°25, Cedaf, 1997). Il n’y aurait donc pas de doute sur la nationalité de ceux qui ont voulu s’appeler Banyamulenge.
De ce qui précède, il va s’en dire que le concept de paix ne signifie pas seulement le silence des armes, le respect des accords de paix, ou le désarmement des factions belligérantes et autres milices ethniques. Bien sûr, tout cela fait partie des préalables, mais, au-delà de cela, la paix devrait être comprise comme la garantie que j’ai, dans mon for intérieur, que mon voisin immédiat est en sécurité ; la sécurité étant comprise ici dans son sens le plus large, c’est-à-dire que dans son quotidien, il n’éprouve aucun désir d’envier ce que j’ai.
Pour franchir ce cap, il est impérieux de penser la paix par le bas : Identifier les véritables acteurs locaux et les laisser dialoguer en dehors de toute pression nationale ou régionale. Ces notables qui passent leurs temps à promener leurs troupeaux sur les hauts plateaux d’Itombwe n’ont jamais réellement été associés à la quête de la paix. Il en est de même de ceux qui subissent parfois les diktats mutualités tribales. Pourtant, dissiper le complexe belligène au niveau local contribuerait à réduire les points d’ancrage sur lesquels se greffent les dynamiques régionales. Il faudra alors laisser le temps au temps. Peut-être, la paix arrivera !
Dr. Godefroid Muzalia est professeur à l’ISP Bukavu et à l’Université Simon Kimbangu de Bukavu. Pour le groupe d’étude sur les conflits CERUKI, il s’engage en tant que chercheur.