Le massacre de Mutarule – Analyses préliminaires

(avec Josaphat Musamba Bussy)

Représailles contre les voleurs des vaches, règlement des comptes, ou haine inter-ethnique ?

La journée du 7 juin 2014, le territoire d’Uvira assiste à un massacre des congolais plus de 30 personnes, certains fusillés, mais la plupart hachées comme des bêtes sauvages, à des incendies des maisons alors qu’ils étaient en train de prier dans une église locale de la 8ième Communauté des Eglises Pentecôtistes en Afrique Centrale; nouvelle largement diffusé jusqu’à la communauté internationale [1].

Ces violences ne sont pas les premières à être perpétrées dans cette localité, il s’agit quasiment d’une énième vague de violence à laquelle la communauté internationale ainsi que nationale assiste. Par exemple en 2012 quand le mwami des Barundi (Ndabagoye) [2] fut assassiné, cela avait déjà crée des lourdes tensions et des déstabilisations dans certaines parties de la plaine de la Ruzizi (territoire de Uvira, Sud-Kivu).

Les raisons les plus évoquées dans la plupart des littératures et dans plusieurs discours sont qu’il se trouverait un conflit basé sur des dimensions ethniques, liés à la terres et plus particulièrement on les situerait dans une autre dimension liées aux ressources appartenant à des communautés. Plusieurs manifestations se sont faites dans la plaine de la Ruzizi ainsi que dans la ville de Bukavu pour dénoncer par la voie plus haute ce récent massacre des Bafuliru, des paisibles citoyens qui n’étaient (ou n’apparaissaient) nullement ni de loin ou de près impliqués dans les tensions ou le conflits en question. Ci dessous, nous essayons d’analyser et démontrer les raisons qui ont été à la base de cette escalation.

En dépit de certaines analyses prématurés, notamment celle de la MONUSCO qui n’a pas manqué à définir le massacre en qualité ‘ethnique’ dans la première phrase de son communiqué suivant, une compréhension globale et précise nécessite de saisir toutes les dynamiques ne pas seulement tenir compte des celle qui implique les acteurs dits ‘ethniques’. Lorsque les discours viennent davantage s’envenimer il peut être constaté qu’une ‘coalition’ Barundi-Banyamulenge semble s’avoir emporter sur les Bafuliru qui furent du reste réduits et ont subit un revers, mais une analyse plus profonde démontre un pot-pourri de dynamiques qui s’organise bien plus au long de démarcations ethniques dans le sens d’une instrumentalisation au plusieurs niveaux.

Tenant compte de la multiplicité de conflits dans la plaine de la Ruzizi

Les diffèrentes communautés vivant dans la plaine de la Ruzizi (principalement Barundi, Bafuliro et Banyamulenge) partagent un historique conflictuel qui se traduit aussi bien au long de leurs ‘frontières’  inter-communautaires qui à travers et entre ces groupes eux-mêmes. Parmi les principales raisons, on trouve des problèmes de sorte de représentation politique, coutumière mais aussi liées à des questions foncières puis de combats de pouvoir qui se déroulent en dehors de l’arène ‘classique’ des ces facteurs. Malgré qu’il est évident que de nombreux accrochages et ‘petites guerres’ on opposés les Banyamulenge aux Bafuliru, et les derniers aux Barundi (souvent parce qu’ils ne reconnaissent pas légitimité de leur mwami) cela représente qu’une seule couche d’un univers de contestation. La même observation pourrait se faire d’ailleurs en ce qui concerne les vols de vaches répétitifs qui ont mené à une augmentation des tensions au niveau local.

Les vols des vaches : Provocations ciblée ou simple recherches du lucre facile ?

Pour les peuples cultivateurs, la vache constitue une ressource très rare et est inaliénable, voir intouchable. Or depuis quelques mois des informations alarmantes venaient de la Plaine de la Ruzizi ou bien des Moyens Plateaux d’Uvira (notamment dans le périmètre de Lemera, capitale de la chefferie des Bafuliro) d’autant plus que chaque fois certains Banyamulenge de la localité de Mutarule et d’autres villages avoisinants se plaignaient des enlèvement de leurs vaches. De nombreux indications que les éléments de la milice Mayi Mayi Karakara (basé dans les Moyens Plateaux) aurait été à la base  de tels afin de les revendre dépecées [3] dans le centre de Lemera.

Autre que certains observateurs l’ont constatés dans leurs analyses précipitées, l’intention de voler les vaches de la communauté Banyamulenge revêt une double signification avec des implications bien plus profondes qu’une simple lecture ‘ethnique’ pourrait révéler : du fait que les conséquences d’une attaque directe aux Banyamulenge, peuple rwandophone vivant sur sol Congolais déjà bien avant la colonisation, portent le bagage d’une escaladions potentielle aux détriment des ‘victimes’ ainsi que des ‘agresseurs’, les vaches signifient une stratégie convenable afin de provoquer, mais une deuxième signification est que les Karakara seront à la recherche de l’argent facile. Le simple fait d’aller revendre les vaches dépecées dans la cité de Lemera démontrerait cette intention. Point clé de cette dynamique, l’ampleur des escarmouches et crépitements de balles qui ont dérangé l’ordre au niveau de Lemera montrent une dynamique supplémentaire : les autorités de Lemera – soutenues de l’auto-défense de Molière en partie – avaient décidé d’arrêter ses vaches dépecées pour crainte d’une escaladions basé sur l’instrumentalisation des antagonismes communautaires, dits ‘ethniques’. Pour raison stratégiques, certains leaders Bafuliro veulent rien qu’éviter un retour à des périodes conflictuelles qui avaient marqués la cohabitation entre Bafuliro et Banyamulenge pendant des années précédentes. Un fait à ne pas sous-estimer, vu la vague des explications simplistes diffusées par certains acteurs au lendemain du massacre de Mutarule, mais autant lié à des conflits politiques au sein de la communauté Bafuliro – notamment la succession du mwami Ndare Simba Simon qui oppose des membres de famille respectivement proches de Karakara et Molière.

Le massacres : simple acte de représailles ; prémédités et planifiés ?

Le massacre de la nuit de 6 au 7 juin aurait donc été perpétré par des Banyamulenge alliés aux Barundi, acte de revanche contre les vols de vaches subis auparavant. Cet acte fut-il préméditée ou serait-il alors une coïncidence des circonstances voir un acte de représailles contre les vols de bétail par Karakara ? Il faut constater que toute communauté est d’abord militarisée [4], suite aux conflits cycliques et une militarisation communautaire dont les racines se trouvent jusqu’à Bukavu et Kinshasa ou certain intérêts politiques, voir électorales ont amené des leaders à jouer sur la polarisation. C’est à dire que les éleveurs ainsi que les agriculteurs (pour des raisons aussi simples que la ‘protection’ des leurs ressources et d’autres qui sont plus difficilement à discerner) maintiennent de quantités considérables en armes légères – nourris par des patrons et leur propre méfiance par rapport à ‘l’autre’.

Selon certains rapports, la crise qui s’observait dans la localité de Bwegera au mois de mars 2014 était liée à la question du conflits du pouvoir coutumier dans la plaine de la Ruzizi entre Bafuliru et les Barundi mais aussi à la présence des éléments FARDC rwandophones, qui – de façon largement incontrôlée, se sont transformés en ‘civils Banyamulenge’ dans le but de protéger à la fois les Barundi et le Banyamulenge [5]. Ces deux communautés craignait les exactions des milices d’auto-défenses Bafuliro qui commettaient des exactions contre leurs membres, mais aussi d’autres qui ne sont certainement pas attribuable aux dynamiques inter-communautaires.

Peut on alors confirmer la thèse selon laquelle un vol vaches – inscrit dans un prétexte ethnique – serait un élément déclencheur d’un tel massacre ? Les femmes ainsi que les enfants tués étaient-ils aussi dans le groupe des voleurs des vaches ? D’après toute information disponible, il est à constater que la mère ainsi que des frères et sœurs du chef milicien Karakara étaient parmi les victimes. Voir la planification et la célérité avec laquelle ce massacre avait été perpétré, il y a lieu de d’affirmer que celui ci fut à la fois planifié, prémédité et ne pouvait que rentrer dans ce que l’on peut qualifier d’un règlement des compte d’une qualité bien plus personnelle qu’ethnique. Entre temps, des responsables du battalion FARDC déployé dans la zone ont été interpellés pour soupçon d’avoir participé dans l’attaque sous guise de civils dans le cadre d’une structure autour certains soldats (dénommés groupe ‘dispo’) qui s’aurait déjà antérieurement impliqué dans des violences, règlements de comptes et autres incidents, mais leur rôle reste à clarifier.

Quelles alternatives ?

Bien plus que ce massacre en tant que tel, les réactions politiques développent un potentiel d’aggraver le climat de méfiance que nous observons à l’égard des communautés Banyamulenge et Barundi, mais certainement de même les Bafuliro. Des actes plus musclés des groupes armés comme Karakara – reporté d’être furieux pour meurtre des ses membres de familles – présentent un danger immédiat vu que d’autres milices risqueront de se faire impliquer bel et bien dans une dynamique plus large (vu les activités des milices de Bede, Nyerere, Molière mais même les FNL Burundais malgré une certaine baisse de leurs activités). La Plaine de la Ruzizi ainsi que les Moyens Plateaux d’Uvira comptent facilement autour de 20 groupes et groupuscules bien nourris par certain chefs locaux, candidats malheureux de élections ainsi que d’autres pyromanes politiques qui se retrouvent favorablement dans une situation d’allumer davantage des méfiances intra- et inter-communautaires en utilisant des narratifs ethniques afin de mobiliser de jeunes défavorisés dans leurs milieux respectifs.

Cependant, le feuilleton éleveur-cultivateur est arrivé à un stade suprême dans la plaine et que chacun fait tout pour protéger son espace socio-économique. Pour arriver à stabiliser cette partie de la province il faudra certainement aussi régler la question du pouvoir coutumier (raison de contestation parmi tous les communautés impliquées puis faire un effort crédible (de la part du gouvernement mais aussi des partenaires comme la MONUSCO) à démilitariser la région pour une cohabitation pacifique durable.

Pour ne pas tomber dans le piège des explication faciles – le communiqué MONUSCO ayant montré un exemple déplorable suivant au massacre, la suggestion de Verweijen de déconnecter ‘violence’ et ‘conflit’ pourrait servir davantage d’un outil analytique afin de dissimuler les actes horribles (comme celui de Mutarule) des combats de pouvoir sans quand-même perdre la notion de ‘l’interconnectivité’ relative qui se présente à travers de la région. Finalement, parlant d’ethnicité dans un sens plus général, un facteur important reste la construction sociale des communautés Kivutiennes en tant qu’ethnies qui – comme dans les cas des Bahunde au Nord-Kivu mais aussi d’autres communautés rwandophones à l’est de la RDC – reste une catégorie problématique vu l’implication massive d’un ancien pouvoir colonial ainsi que des élites contemporaines (bien appuyées pas une lecture superficiel de la communauté internationale).

 

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[1]  Mutarule est une localité située dans le groupement de Luberizi et est habité essentiellement par les Bafuliru, les Barundi, les Banyamulenge ainsi que des membres d’autres communautés

[2]  Judith Verweijen (2013): Anatomy of a feeble analysis: a critical reading of Crisis Group’s latest report on the DR Congo, at http://matsutas.wordpress.com/2013/07/30/anatomy-of-a-feeble-analysis-a-critical-reading-of-crisis-groups-latest-report-on-the-dr-congo-by-judith-verweijen/.

[3]  Dans un entretien le 5 juin 2014 à Lemera avec une autorité administrative, nous avions retenu que par deux fois les autorités militaires et civiles (conscient du fait que cette question est sensible) auraient instauré un système de traçabilité car la vente des morceaux de viande de vache dépecées avait été détecté. Alors une fois on avait tenté de mettre un terme à ces pratiques, Karakara avait attaqué la cité de Lemera en créant un conflit nuancé à travers le conflit de succession coutumière, donc intra-Bafuliro – évidence que ces dynamiques sont bien plus compliqués qu’une lecture inter-communautaire pourrait permettre à comprendre.

[4]  Justine Brabant (2013): La houe, la vache et le fusil. Life and Peace Institute, p51.

[5]  Rapport de mission d’évaluation rapide de la situation à Kahanda et à Bwegera du 26 mars 2014, pp 1-2.

 

Comments
7 Responses to “Le massacre de Mutarule – Analyses préliminaires”
  1. ermas says:

    Mais, iyo ni problème ya WARUNDI ambao walisaidiwa na serekali ya congo DRC kuuwa wa Mutarule plaine de la Ruzuzi zaidi ya 35.

  2. LA GUERRE PRENDRA FIN BIENTOT.

  3. Mon avis est que le massacre est au benefice de ceux qui veulent envenimer la region du Sud-Kivu car ayant echoue en 2012: http://edrcrdf.wordpress.com/2014/06/15/who-is-behind-mutarule-massacre-culture-of-impunity-or-security-blunder/

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  4. […] committed by Banyamulenge at all, but by members of a Bafuliru militias trying to settle the intra-community discussion on who would be their candidate to lead the chefferie as […]



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